« Les Oreilles décollées » est un projet strictement récréatif à l’origine : le désir de faire un album pour “jouer”. D’où la nécessité de multiplier les surprises, les ruptures de ton, les dynamiques contraires. J’y reprends peu ou prou la formule déjà testée dans « Pinnothère » : collages, contre-pieds, pieds de nez.

Les morceaux apparaissent dans l’ordre chronologique de composition/improvisation/enregistrement. « Troubles de l’humeur » a été assemblée à partir de bribes de musique enregistrées en décembre dernier : des systèmes “sympas” mais que je n’avais pas à cœur d’exploiter dans toutes leurs potentialités harmoniques et rythmiques sans avoir la triste impression de rallonger inutilement la sauce. (On rallonge beaucoup trop la sauce, de manière générale, chez les musiciens underground.) Dès lors, le ton général était donné : on rassemble, on concentre, on organise des mariages forcés. Alors s’imposèrent les figures du Versaillais, du psychopathe, d’un côté rentre-dedans pas toujours bien mignon. Une brève respiration a lieu, à la faveur de l’introduction de « Requiem pour la musaraigne » — connexion avec le meurtre de sang-froid pour ceux qui connaissent l’anecdote initiale. S’en suivent d’autres “bêtises”, d’autres simulacres, d’autres autosuggestions de l’ego : « Cowboy de supermarché », ridicule, pathétique, attendrissant ; ou « Chleuasme », procédé rhétorique qu’on devrait tout autant abandonner que ce recours à l’ironie passive-agressive qui transforme tout échange en rapport de force tacite. « D’Orphée à Faust », écho à « De Faust à Orphée » (sur l’album « Danou Laineux se métamorphose »), reprend le riff final (resté secret) de la composition originale intégrale : c’était alors une mise en musique des « Litanies de Satan » de Charles Baudelaire. « Cents Francs de bonbons » renoue avec le siècle précédent, mes plus jeunes années, cette décennie 1980 prétendument candide, pop et innocente (dans l’esprit de « Souvenirs d’enfance » figurant sur « Après-guerre »). Enfin, parce qu’on n’est tout de même pas là pour seulement rigoler, et quand bien même c’est au risque d’un chleuasme subliminal, « Bon Dernier » retourne à la forme minimaliste répétitive qui m’est chère, schéma en suspension, comme un sanglot qui revient malgré soi. Constat d’échec, de défaite, et probable complaisance malsaine dans cette image du loser magnifique.