Après avoir passé une grande partie de la soirée à me ronronner et à me baver sur les cuisses, Marmelade s’est paisiblement endormie sur la chaise de jardin. Je l’ai laissée là. Je suis allé dormir. Ce matin, j’ai retrouvé le cadavre de Gérald, sur une dalle de la terrasse faisant habituellement partie de son territoire. C’était notre gecko préféré. On aimait sa manière de relever la tête comme crocodile, guettant attentivement papillons et moustiques. Il était désormais étendu sur le ventre, les couleurs ternies, la nuque brisée, les cervicales apparentes. Je l’ai photographié. J’ai pensé à la dépouille de mon père. Puis je l’ai transporté entre deux feuilles de Sopalin de l’autre côté de la maison, l’ai déposé au pied d’une plante en plein soleil, l’ai béni avec mon index gauche… J’ai repensé à la manière dont les chats ont dévoré Nikita, le hamster de Lucie. C'était il y a treize ou quatorze ans. J'avais découvert à peine sorti du lit, la cage par terre, des traces de sang sur le parquet et Siam et Sacha se léchant les babines, chacune couchée sur un siège. Quand je suis allé chercher Lucie et sa copine à la fin de leur séance d’équitation, je n’ai pas voulu annoncer la mauvaise nouvelle tout de suite. Je voulais attendre d'être à la maison. Les filles se sont mises à chanter sans raison, à l’arrière de la 206, elles ont chanté « Staying Alive » des Bee Gees.

Depuis trois jours, nous subissons une invasion de mouches. J’ai pensé à un moment que Belzébuth m’envoyait un messager, qu’il me proposait quelque chose. (Il est vrai que j’assume de mieux en mieux mes mauvaises pensées, ces temps derniers.) Mais je ne pactise pas avec le diable. Ce serait accepter qu’il se compromette dans un acte indigne de lui — et prendre personnellement de très gros risques. À la place, je me transforme en ninja de la tapette en plastique et en MacGyver du braconnage amateur. Après Hermine, les légions de moscas donc… Ce séjour n’aura pas été de tout repos.